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l’aube

sement à son oncle ; il tremblait devant son jugement, il était tout heureux, quand Gottfried disait simplement d’un de ses morceaux : « Ce n’est pas trop laid… J’aime… »

Parfois aussi, pour se venger, sournoisement il lui jouait le tour de lui présenter, comme étant de lui, des airs de grands musiciens ; et il était dans la jubilation, quand Gottfried, par hasard, les trouvait détestables. Mais Gottfried ne se troublait pas. Il riait de bon cœur, en voyant Christophe battre des mains et gambader de joie autour de lui ; et il revenait toujours à son argument ordinaire : « C’est peut-être bien écrit, mais cela ne dit rien. » — Jamais il ne voulut assister à un des petits concerts qu’on donnait à la maison. Si beau que fût le morceau, il commençait à bâiller et prenait un air hébété d’ennui. Bientôt il n’y tenait plus, et s’esquivait sans bruit. Il disait :

— Vois-tu, petit : tout ce que tu écris dans la maison, ce n’est pas de la musique. La musique dans la maison, c’est le soleil en chambre. La musique est dehors, quand tu respires le cher petit air frais du bon Dieu.

Il parlait toujours du bon Dieu ; car il était très pieux, à la différence des deux Krafft, père et fils, qui faisaient les esprits forts, tout en se gardant bien de manger gras le vendredi.