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l’aube

succès et presque blessé en même temps, par ces approbations qui étaient des ordres. À la fin, toute la salle se leva pour l’acclamer ; le grand-duc donnait le signal des applaudissements. Mais, comme Christophe était seul cette fois sur la scène, il n’osait plus bouger de sa chaise. Les acclamations redoublaient. Il baissait la tête de plus en plus, tout rouge et l’air penaud ; et il regardait obstinément du côté opposé à la salle. Melchior vint le prendre ; il le porta dans ses bras, et lui dit d’envoyer des baisers : il lui indiquait la loge du grand-duc. Christophe fit la sourde oreille. Melchior lui prit le bras et le menaça à voix basse. Alors il exécuta les gestes passivement ; mais il ne regardait personne, il ne levait pas les yeux, il continuait de détourner la tête, et il était malheureux : il souffrait, il ne savait pas de quoi ; il souffrait dans son amour-propre, il n’aimait pas du tout les gens qui étaient là. Ils avaient beau l’applaudir, il ne leur pardonnait pas de rire, et de s’amuser de son humiliation, il ne leur pardonnait pas de le voir dans cette posture ridicule, suspendu en l’air, et envoyant des baisers ; il leur en voulait presque de l’applaudir. Et quand Melchior enfin le posa à terre, il détala vers la coulisse. Une dame lui lança au passage un petit bouquet de violettes, qui lui frôla le visage, il fut pris de panique et courut à toutes jambes, renversant une chaise qui se trouvait

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