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l’aube

pour Christophe. Pour comble de malheur, l’enfant laissa tomber sa montre, qui se brisa. Une grêle d’injures s’abattit sur lui. Melchior cria qu’il serait privé de dessert, Christophe dit rageusement que c’était ce qu’il voulait. Pour le punir, Louisa annonça qu’elle commençait par lui confisquer ses bonbons. Christophe, exaspéré, dit qu’elle n’en avait pas le droit, que le sac était à lui, à lui, et à personne autre : personne ne le prendrait ! Il reçut une gifle, eut un accès de fureur, et, arrachant le sac des mains de sa mère, il le jeta par terre en trépignant dessus. Il fut fouetté, emporté dans sa chambre, déshabillé, et mis au lit.

Le soir, il entendit ses parents manger avec des amis, le dîner magnifique, préparé depuis huit jours, en l’honneur du concert. Il faillit mourir de rage sur son oreiller d’une telle injustice. Les autres riaient très haut et choquaient leurs verres. On avait dit aux invités que le petit était fatigué ; et nul ne s’inquiéta de lui. Seulement, après dîner, alors que les convives allaient se séparer, un pas traînant se glissa dans sa chambre, et le vieux Jean-Michel se pencha sur son lit, et l’embrassa avec émotion, en lui disant : « Mon bon petit Christophe !… » Puis, comme s’il avait honte, il s’esquiva, sans rien dire de plus, après lui avoir glissé quelques friandises qu’il cachait dans sa poche.

Cela fut doux à Christophe. Mais il était si las de

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