Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/44

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Il est à la maison, assis par terre, les pieds dans ses mains. Il vient de décider que le paillasson était un bateau, le carreau une rivière. Il croirait se noyer en sortant du tapis. Il est surpris et un peu contrarié que les autres n’y fassent pas attention comme lui, en passant dans la chambre. Il arrête sa mère par le pan de sa jupe : « Tu vois bien que c’est l’eau ! Il faut passer par le pont. » — Le pont est une suite de ramures entre les losanges rouges. — Sa mère passe sans même l’écouter. Il est vexé, à la façon d’un auteur dramatique, qui voit le public causer pendant sa pièce.

L’instant d’après, il n’y songe plus. Le carreau n’est plus la mer. Il est couché dessus, étendu tout de son long, le menton sur la pierre, chantonnant des musiques de sa composition, et se suçant le pouce gravement, en bavant. Il est plongé dans la contemplation d’une fissure entre les dalles. Les lignes des losanges grimacent comme des visages. Le trou imperceptible grandit, il devient une vallée ; il y a des montagnes autour. Un mille-pattes remue :

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