Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/78

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C’est au moment où la situation de la famille devenait le plus difficile, que le petit Christophe commença à comprendre ce qui se passait autour de lui.

Il n’était plus seul enfant. Melchior faisait un enfant à sa femme chaque année, sans s’inquiéter de ce qui en arriverait plus tard. Deux étaient morts en bas âge. Deux autres avaient trois et quatre ans. Melchior ne s’en occupait jamais. Louisa, forcée de sortir, les confiait à Christophe, qui avait maintenant six ans.

Il en coûtait à Christophe ; car il devait renoncer pour ce devoir à ses bonnes après-midi dans les champs. Mais il était fier qu’on le traitât en homme, et il s’acquittait de sa tâche gravement. Il amusait de son mieux les petits, en leur montrant ses jeux ; et il s’appliquait à leur parler, comme il avait entendu sa mère causer avec le bébé. Ou bien il les portait dans ses bras, l’un après l’autre, comme il avait vu faire ; il fléchissait sous le poids, serrant les dents, pressant de toute sa force le petit frère contre sa poitrine, pour qu’il ne tombât pas. Les

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