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Jean-Christophe

heureux garçon n’osa dire ce qui l’empêchait de sauter ; il rassembla ses forces, se lança, et s’allongea par terre. Autour de lui, c’étaient des éclats de rire. Il fallut recommencer. Les larmes aux yeux, il fit un effort désespéré, et, cette fois, réussit à sauter. Cela ne satisfit point ses bourreaux, qui décidèrent que la barrière n’était pas assez haute ; et ils y ajoutèrent d’autres constructions, jusqu’à ce qu’elle devînt un casse-cou infaillible. Christophe essaya de se révolter ; il déclara qu’il ne sauterait pas. Alors la petite fille l’appela lâche, et dit qu’il avait peur. Christophe ne put le supporter ; et, certain de tomber, il sauta, et tomba. Ses pieds se prirent dans l’obstacle : tout s’écroula avec lui. Il s’écorcha les mains, faillit se casser la tête ; et, pour comble de malheur, son vêtement éclata aux genoux et ailleurs. Il était malade de honte ; il entendait les deux enfants danser de joie autour de lui ; il souffrait d’une façon atroce. Il sentait qu’ils le méprisaient, qu’ils le haïssaient : pourquoi ? pourquoi ? Il aurait voulu mourir ! — Il n’y a pas de douleur plus cruelle, que celle de l’enfant, qui découvre pour la première fois la méchanceté des autres ; il se croit alors persécuté par le monde entier, et il n’a rien qui le soutienne : il n’y a plus rien, il n’y a plus rien !… Christophe essaya de se relever : le bourgeois le poussa, et le fit retomber ; la fillette

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