Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/134

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Le lendemain matin, il alla voir l’actrice, dans le petit hôtel de troisième ordre où l’impresario l’avait reléguée avec ses camarades, tandis que la grande comédienne était descendue au premier hôtel de la ville. On le fit entrer dans un petit salon mal tenu, où les restes du déjeuner traînaient, sur un piano ouvert, avec des épingles à cheveux et des feuilles de musique déchirées et malpropres. Dans la chambre à côté, Ophélie chantait à tue-tête, comme un enfant, pour le plaisir de faire du bruit. Elle s’interrompit un instant, quand on lui annonça la visite, pour demander, d’une voix joyeuse qui ne prenait nul souci de n’être pas entendue de l’autre côté du mur :

— Qu’est-ce qu’il veut, ce monsieur ? Comment est-ce qu’il se nomme ?… Christophe… Christophe quoi ?… Christophe Krafft ?… Quel nom !

(Elle le répéta deux ou trois fois, en faisant terriblement rouler les r.)

— On dirait un juron…

(Elle en dit un.)

— Est-ce qu’il est jeune ou vieux ?… Gentil ?… — C’est bon, j’y vais.

Elle se remit à chanter :


— Rien n’est plus doux que mon amour…


en furetant à travers la chambre, et pestant contre une épingle d’écaille qui se faisait chercher au milieu du fouillis. Elle s’impatienta, elle se mit à gronder, elle fit le lion. Bien qu’il ne la vît pas, Christophe suivait par la pensée tous ses

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