Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/178

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Quand il fut bien évident pour tous que Christophe n’avait plus aucun appui, il se trouva soudain d’une richesse en ennemis qu’il n’eût jamais soupçonnée. Tous ceux qu’il avait blessés, directement ou indirectement, soit par des critiques personnelles, soit en combattant leurs idées et leur goût, prirent aussitôt l’offensive et se vengèrent avec usure. Le gros public, dont Christophe avait essayé de secouer l’apathie, contemplait, fort satisfait, la correction administrée à l’insolent jeune homme, qui avait prétendu réformer l’opinion et troubler le sommeil des gens de bien. Christophe était à l’eau. Chacun fit de son mieux pour lui tenir la tête dessous.

Ils ne fondirent pas tous ensemble sur lui. L’un commença d’abord, pour tâter le terrain. Christophe ne répondant pas, il redoubla ses coups. Alors d’autres suivirent ; et puis, toute la bande. Les uns étaient de la fête par simple divertissement, comme de jeunes chiens, qui s’amusent à déposer leurs incongruités en belle place : c’était l’escadron volant des journalistes incompétents, qui, ne sachant rien, tâchent de le faire oublier, à force d’adulations aux vainqueurs et d’injures aux vaincus. Les autres apportaient là le poids de leurs principes, ils tapaient comme des sourds ; où ils avaient passé, il ne restait rien de rien : c’était la grande critique, — la critique qui tue.

Par bonheur pour Christophe, il ne lisait pas les journaux. Quelques amis dévoués avaient eu l’attention de lui envoyer les plus injurieux. Mais il les laissait s’empiler sur sa

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