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Jean-Christophe

poli, qui n’a rien à dire, mais qui se croit obligé à dire tout de même quelque chose, lui fit cette réflexion, pleine de bon sens, mais non pas d’à propos, « qu’il faut se lever de bonne heure, pour jouir de la matinée ».

Morgenstund hat Gold im Mund.

Christophe finit par ne plus oser se tourner sur sa chaise, de peur de s’entendre interpeller par d’autres voix venues de tous les coins de la chambre. Il avait envie de leur dire :

— Taisez-vous donc, petits monstres ! On ne s’entend pas ici.

Et il fut pris d’un fou rire, qu’il tâcha d’expliquer à ses hôtes par le souvenir de la réunion de tout à l’heure, à l’école. Pour rien au monde, il n’eût voulu les blesser. Au reste, il n’était pas très sensible au ridicule. Très vite, il s’habitua à la cordialité loquace des choses et des êtres. Que ne leur eût-il passé ! C’étaient de si bonnes gens ! Ils n’étaient pas ennuyeux, d’ailleurs ; s’ils manquaient de goût, ils ne manquaient pas d’intelligence.

Ils se trouvaient un peu perdus dans le pays, où ils venaient d’arriver. La susceptibilité insupportable de la petite ville de province n’admettait point qu’on y entrât, comme dans un moulin, sans avoir sollicité, dans les règles, l’honneur d’en faire partie. Les Reinhart n’avaient pas tenu assez de compte du protocole provincial, qui régit les devoirs des nouveaux arrivants dans une ville, à l’égard de ceux qui y sont installés avant eux. À la rigueur, Reinhart s’y fût soumis machinalement. Mais sa femme, que ces corvées assommaient, et qui n’aimait pas à se gêner, les remettait de jour en jour. Elle avait choisi dans la liste des visites celles qui l’ennuyaient le moins, pour les faire d’abord ; les autres étaient indéfiniment remises. Les notabilités, qui se trouvaient comprises dans cette dernière catégorie, étaient suffoquées d’un tel manque d’égards. Angelika Reinhart — (son mari la nommait familièrement Lili) — avait des manières un peu libres ; elle ne parvenait pas à prendre le ton offi-

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