Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/232

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Tel était l’homme, auprès duquel Christophe venait chercher un réconfort. Avec quelle joie et quel espoir il arriva, par un matin froid et pluvieux, dans la ville où vivait celui qui symbolisait à ses yeux, dans son art, l’esprit d’indépendance ! Il attendait de lui la parole d’amitié et de vaillance, dont il avait besoin pour continuer l’ingrate et nécessaire bataille, que tout véritable artiste doit livrer au monde, jusqu’à son dernier souffle, sans désarmer un seul jour : car, comme l’a dit Schiller, « la seule relation avec le public, dont on ne se repente jamais, — c’est la guerre. »

Christophe était si impatient qu’il prit à peine le temps de déposer son sac dans le premier hôtel venu, près de la gare, avant de courir au théâtre, pour s’informer de l’adresse de Hassler. Hassler habitait assez loin du centre, dans un faubourg de la ville. Christophe prit un tram électrique, en mordant à belles dents un petit pain. Son cœur battait, en approchant du but.

Le quartier où Hassler avait élu domicile était presque tout entier bâti dans cette étrange architecture nouvelle, où la jeune Allemagne déverse une barbarie érudite et voulue, qui s’épuise en laborieux efforts pour avoir du génie. Au milieu de la ville banale, aux rues droites et sans caractère, s’élevaient brusquement des hypogées d’Égypte, des chalets norvégiens, des cloîtres, des bastions, des pavillons d’Exposition universelle, des maisons ventrues, culs-de-jatte, enfon-

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