Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/27

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Il parlait ainsi, parce qu’il savait bien que l’orage venait.

Le tonnerre tombe où il veut, et quand il veut. Mais il y a des sommets qui l’attirent. Certains lieux — certaines âmes — sont des nids d’orages : ils les créent ou les aspirent de tous les points de l’horizon ; et, de même que certains mois de l’année, certains âges de la vie sont si saturés d’électricité, que les coups de foudre s’y produisent — sinon à volonté — du moins à l’heure attendue.

L’être tout entier se tend. Souvent, pendant des jours, des jours, l’orage se prépare. Une ouate brûlante tapisse le ciel blanc. Pas un souffle. L’air immobile fermente, semble bouillir. La terre se tait, écrasée de torpeur. Le cerveau bourdonne de fièvre : toute la nature attend l’explosion de la force qui s’amasse, le choc du marteau qui se lève pesamment, pour retomber d’un coup sur l’enclume des nuées. De grandes ombres sombres et chaudes passent ; un vent de feu s’élève ; les nerfs frémissent par tout le corps, comme des feuilles… Puis, le silence retombe. Le ciel continue de couver la foudre.

Il y a à cette attente une angoisse voluptueuse. Malgré le malaise qui vous oppresse, on sent passer dans ses veines le feu qui brûle l’univers. L’âme soûle bouillonne dans la fournaise, comme le raisin dans la cuve. Des milliers de germes de vie et de mort la travaillent. Qu’en sortira-t-il ? Elle l’ignore. Comme la femme enceinte, elle se tait, le regard perdu en elle, elle écoute, anxieuse, le tressaillement de ses entrailles, et elle pense : « Que naîtra-t-il de moi ? »…

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