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la révolte

cette force inconnue, qui s’éveille, soudaine et irrésistible, dans certaines espèces d’oiseaux, à des époques précises, comme le flux et le reflux de la mer : — l’instinct des grandes migrations. En lisant les volumes de Herder et de Fichte, que le vieux Schulz lui avait légués, il y retrouvait des âmes comme la sienne, — non « des fils de la terre », servilement attachés à la glèbe, mais « des esprits, fils du soleil », qui se tournent invinciblement vers la lumière, d’où qu’elle vienne.

Où irait-il ? Il ne savait. Mais ses yeux, d’instinct, regardaient vers le Midi latin. Et d’abord, vers la France. La France, éternel recours de l’Allemagne en désarroi. Que de fois la pensée allemande s’était servie d’elle, sans cesser d’en médire ! Même depuis 70, quelle attraction se dégageait de la Ville, qu’on avait tenue fumante et broyée sous les canons allemands ! Les formes de la pensée et de l’art les plus révolutionnaires et les plus rétrogrades y avaient trouvé tour à tour, et parfois en même temps, des exemples ou des inspirations. Christophe, comme tant d’autres grands musiciens allemands dans la détresse, se tournait, lui aussi, vers Paris… Que connaissait-il des Français ? — Deux visages féminins, et quelques lectures au hasard. Cela lui suffisait pour imaginer un pays de lumière, de gaieté, de bravoure, voire d’un peu de jactance gauloise, qui ne messied pas à la jeunesse audacieuse du cœur. Il y croyait, parce qu’il avait besoin d’y croire, parce que, de toute son âme, il eût voulu que ce fût ainsi.