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Jean-Christophe

Christophe haussa les épaules, et se dirigea vers la porte Mais le père de Lorchen lui barra le chemin, en glapissant

— C’est ça ! c’est ça ! criait-il, il voudrait filer maintenant, après qu’il nous a tous mis dans le pétrin. Il ne partira pas !

Les paysans hurlèrent.

— Il ne partira pas ! C’est lui qui est cause de tout. C’est lui qui doit payer pour tout !

Ils l’entouraient, en lui montrant le poing. Christophe voyait se resserrer le cercle de figures menaçantes : la peur les rendait enragés. Il ne dit pas un mot, fit une grimace de dégoût, et, jetant son chapeau sur une table, il alla s’asseoir au fond de la salle, et leur tourna le dos.

Mais Lorchen, indignée, se jeta au milieu des paysans. Sa jolie figure était toute rouge et froncée de colère. Elle repoussa rudement ceux qui entouraient Christophe :

— Tas de lâches ! Bêtes brutes ! cria-t-elle. Vous n’êtes pas honteux ? Vous voudriez faire croire que c’est lui qui a tout fait ! Comme si on ne vous avait pas vus ! Comme s’il y en avait un seul qui n’avait pas cogné de son mieux !… S’il y en avait un seul qui était resté les bras croisés, pendant que les autres se battaient, je lui cracherais à la figure, et je l’appellerais : Lâche ! Lâche !…

Les paysans, surpris par cette sortie inattendue, restèrent, un instant, silencieux ; puis, ils se remirent à crier :

— C’est lui qui a commencé ! Sans lui, il n’y aurait rien eu.

Le père de Lorchen faisait en vain des signes à sa fille. Elle reprit :

— Bien sûr que c’est lui qui a commencé ! Il n’y a pas de quoi vous vanter. Sans lui, vous vous laissiez insulter, vous vous laissiez insulter, poltrons ! froussards !

Elle apostropha son ami :

— Et toi, tu ne disais rien, tu faisais la bouche en cœur, tu tendais le derrière aux coups de botte ; pour un peu, tu aurais remercié ! Tu n’as pas honte ?… Vous n’avez pas

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