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la révolte

honte, tous ? Vous n’êtes pas des hommes ! Courage de brebis, toujours le nez en terre ! Il a fallu que celui-là vous donnât l’exemple ! — Et maintenant, vous voudriez lui faire tout retomber sur le dos ?… Eh bien, cela ne sera pas, c’est moi qui vous le dis ! Il s’est battu pour nous. Ou bien vous le sauverez, ou bien vous trinquerez avec lui : je vous en donne ma parole !

Le père de Lorchen la tirait par le bras ; il était hors de lui, et criait :

— Tais-toi ! tais-toi !… Te tairas-tu, bougre de chienne !

Mais elle le repoussa, et continua, de plus belle. Les paysans vociféraient. Elle criait plus fort qu’eux, d’une voix aiguë, qui crevait le tympan :

— D’abord, toi, qu’est-ce que tu as à dire ? Tu crois que je ne t’ai pas vu tout à l’heure piler à coups de talons celui-là qui est quasi comme mort dans la chambre à côté ? Et toi, montre un peu tes mains !… Il y a encore du sang dessus. Tu crois que je ne t’ai pas vu avec ton couteau ? Je dirai tout ce que j’ai vu, tout, si vous faites la moindre chose contre lui. Je vous ferai tous condamner.

Les paysans, exaspérés, approchaient leur figure furieuse de la figure de Lorchen, et lui braillaient au nez. Un d’eux fit mine de la calotter ; mais le bon ami de Lorchen le saisit au collet, et ils se secouèrent tous deux, prêts à se rouer de coups. Un vieux dit à Lorchen :

— Si nous sommes condamnés, tu le seras aussi.

— Je le serai aussi, fit-elle. Je suis moins lâche que vous.

Et elle reprit sa musique.

Ils ne savaient plus que faire. Ils s’adressaient au père :

— Est-ce que tu ne la feras pas taire ?

Le vieux avait compris qu’il n’était pas prudent de pousser à bout Lorchen. Il leur fit signe de se calmer. Le silence tomba. Lorchen seule continua de parler ; puis, ne trouvant plus de riposte, comme un feu sans aliment, elle s’arrêta. Après un moment, son père toussota, et dit :

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