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la révolte

Il était décidé, si la réponse, que Lorchen devait lui apporter de la part de sa mère, trahissait une douleur trop grande, à revenir coûte que coûte. Mais s’il ne recevait rien ? Si Lorchen n’avait pu arriver jusqu’à Louisa, ou rapporter la réponse ? Eh bien, il reviendrait.

Il retourna à la gare. Après une morne attente, le train parut enfin. Christophe guettait à une portière la figure hardie de Lorchen : car il était certain qu’elle tiendrait sa promesse ; mais elle ne se montra pas. Il courut, inquiet, d’un compartiment à l’autre : il se disait que, si elle avait été dans le train, elle eût été des premières à descendre. Comme il se heurtait dans sa course au flot des voyageurs qui venaient en sens inverse, il remarqua une figure, qui ne lui parut pas inconnue. C’était une petite fille de treize à quatorze ans, joufflue, courtaude, et rouge comme une pomme, avec un gros petit nez retroussé, une grande bouche, et une natte épaisse enroulée autour de la tête. En la regardant mieux, il vit qu’elle tenait à la main une vieille valise qui ressemblait à la sienne. Elle l’observait aussi, de côté, comme un moineau ; et quand elle vit qu’il la regardait, elle fit quelques pas vers lui ; mais elle resta plantée en face de Christophe, et le dévisagea de ses petits yeux de souris, sans dire un mot. Christophe la reconnut : c’était une petite vachère de la ferme de Lorchen. Montrant la valise, il dit :

— C’est à moi, n’est-ce pas ?

La petite ne bougea pas, et répondit d’un air nigaud :

— Savoir. D’où que vous venez, d’abord ?

— De Buir.

— Et qui qui vous l’envoie ?

— Lorchen. Allons, donne.

La gamine tendit la valise :

— La v’là !

Et elle ajouta :

— Oh ! je vous ai bien reconnu tout de suite !

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