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la révolte

tesques aux flèches ajourées ? — Mais il souffrait de leurs mensonges, et il ne pouvait les oublier. Il les attribuait à la race, et leur grandeur à eux-mêmes. Il avait tort. Grandeur et faiblesses appartiennent également à la race, dont la pensée puissante et trouble roule comme le plus large fleuve de musique et de poésie, où l’Europe vienne boire. — Et chez quel autre peuple eût-il trouvé la pureté naïve, qui lui permettait en ce moment de le condamner si durement ?

Il ne s’en doutait point. Avec l’ingratitude d’un enfant gâté, il retournait contre sa mère les armes qu’il en avait reçues. Plus tard, plus tard, il devait sentir tout ce qu’il lui devait, et combien elle lui était chère…

Mais il était dans une période de réaction aveugle contre toutes les idoles de son enfance. Il s’en voulait et il leur en voulait d’avoir cru en elles avec un abandon passionné. — Et il était bien qu’il en fût ainsi. Il y a un âge de la vie, où il faut oser être injuste, où il faut oser faire table rase de toutes les admirations et de tous les respects appris, et tout nier — mensonges et vérités — tout ce que l’on n’a pas reconnu vrai par soi-même. Par toute son éducation, et par tout ce qu’il voit et entend autour de lui, l’enfant absorbe une telle somme de mensonges et de sottises mélangées aux vérités essentielles de la vie, que le premier devoir de l’adolescent qui veut être un homme sain est de tout dégorger.