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Jean-Christophe

de tous ces idiots romantiques, avec leur pensée rance, leur émotion lacrymatoire, ces rabâchages séniles qu’on veut que nous admirions, « cet éternel Hier, qui a toujours été, et qui sera toujours, et qui fera loi demain parce qu’il a fait loi aujourd’hui…… ! »

Il récita quelques vers du passage fameux de Schiller :


« .................... Das ewig Gestrige
Das immer war und immer wiederkehrt »


— Et lui, tout le premier ! — s’interrompit-il au milieu de sa récitation.

— Qui ? demanda Christophe.

— Le pompier qui a écrit cela !

Christophe ne comprenait pas. Mais Mannheim continuait :

— Moi d’abord, je voudrais que, tous les cinquante ans, on procédât à un nettoyage général de l’art et de la pensée, — qu’on ne laissât rien subsister de tout ce qui était avant.

— C’est un peu radical, dit Christophe, en souriant.

— Mais non, je vous assure. Cinquante ans, c’est encore trop ; il faudrait dire : trente… Et encore !… C’est une mesure d’hygiène. On ne garde pas dans sa maison la collection de ses grands-pères. On les envoie, quand ils sont morts, poliment pourrir ailleurs, et on met des pierres dessus, pour être bien sûrs qu’ils ne reviendront pas. Les âmes délicates, mettent aussi des fleurs. Je veux bien, cela m’est égal. Tout ce que je demande, c’est qu’ils me laissent tranquille. Je les laisse bien tranquilles, moi ! Chacun de son côté : côté des vivants ; côté des morts.

— Il y a des morts qui sont plus vivants que les vivants.

— Mais non, mais non ! cela serait plus vrai, si vous disiez qu’il y a des vivants qui sont plus morts que les morts.

— Peut-être bien. En tout cas, il y a du vieux qui est encore jeune.

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