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DANS LA MAISON

d’ignorance hautaine avait, naturellement, peu d’attraits ; il était fait pour dérouter. On n’a le peuple avec soi que quand on lui apporte des paroles de vie simple, claire, vigoureuse, et certaine. Il aime mieux un robuste mensonge qu’une vérité anémique. Le scepticisme ne lui agrée que lorsqu’il recouvre quelque bon gros naturalisme, ou quelque idolâtrie chrétienne. Le pyrrhonisme dédaigneux dont s’enveloppait l’Ésope, ne pouvait être entendu que d’un petit nombre d’esprits, — « alme sdegnose », — qui connaissaient leur solidité cachée. Cette force était perdue pour l’action, pour la vie.

Ils n’en avaient cure. Plus la France se démocratisait, plus sa pensée, son art, sa science semblaient s’aristocratiser. La science, abritée derrière ses langues spéciales, au fond de son sanctuaire, recouverte d’un triple voile, que les initiés seuls avaient le pouvoir d’écarter, était moins accessible qu’au temps de Buffon et des Encyclopédistes. L’art, — celui, du moins, qui avait le respect de soi-même et le culte du beau, — n’était pas moins hermétique ; il méprisait le peuple. Même parmi les écrivains moins soucieux de beauté que d’action, parmi ceux qui donnaient le pas aux idées morales sur les idées esthétiques, régnait souvent un étrange esprit aristocratique. Ils paraissaient plus occupés de conserver en eux la pureté de leur flamme intérieure que de la communiquer aux autres. On eût dit qu’ils ne