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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

— Mon pauvre petit, dit Christophe, ce n’est pas gai, en attendant. Et où seras-tu, quand ta France émergera du Nil ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux lutter ? Tu n’y risquerais rien de plus que la défaite, à laquelle tu te condamnes, toute ta vie.

— Je risquerais beaucoup plus que la défaite, dit Olivier. Je risquerais de perdre le calme de l’esprit ; et c’est à quoi je tiens, plus qu’à la victoire. Je ne veux pas haïr. Je veux rendre justice même à mes ennemis. Je veux garder au milieu des passions la lucidité de mon regard, tout comprendre et tout aimer.


Mais Christophe, à qui cet amour de la vie, détaché de la vie, semblait peu différent de la résignation à mourir, sentait gronder en lui, comme le vieil Empédocle, un hymne à la Haine et à l’Amour frère de la Haine, l’Amour fécond, qui laboure et ensemence la terre. Il ne partageait pas le tranquille fatalisme d’Olivier ; et, moins confiant que lui dans la durée d’une race qui ne se défendait point, il eût voulu faire appel à toutes les forces saines de la nation, à une levée en masse de tous les honnêtes gens de la France tout entière.