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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

immobile » ; — et lui qui savait le fond orageux et trouble de son âme, et que ce n’était pas trop de toutes les forces de sa volonté pour maintenir l’équilibre de sa puissante nature, plus que tout autre, il admirait cette harmonie voilée.

Le spectacle de la France cachée achevait de bouleverser toutes ses idées sur le caractère français. Au lieu d’un peuple gai, sociable, insouciant et brillant, il voyait des esprits volontaires, concentrés, isolés les uns des autres, enveloppés d’une apparence d’optimisme, comme d’une buée lumineuse, mais baignant dans un pessimisme profond et serein, possédés d’idées fixes, de passions intellectuelles, des âmes inébranlables, qu’il eût été plus facile de détruire que de changer. Ce n’était là sans doute qu’une élite française ; mais Christophe se demandait où elle avait puisé ce stoïcisme et cette foi. Olivier lui répondit :

— Dans la défaite. C’est vous, mon bon Christophe, qui nous avez reforgés. Ah ! ce n’a pas été sans douleur. Vous ne vous doutez pas de la sombre atmosphère, où nous avons grandi, dans une France humiliée et meurtrie, qui venait de voir la mort en face, et qui sentait toujours peser sur elle la menace meurtrière de la force. Notre vie, notre génie, notre civilisation française, la grandeur de dix siècles, — nous sentions qu’elle était dans la main d’un conquérant brutal, qui ne la comprenait point, qui la haïssait au fond, et