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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Il fut bien détrompé. Impossible de rien publier. Il avait un amour jaloux de la liberté, qui lui inspirait l’horreur de tout ce qui y porte atteinte, et qui le faisait vivre à part, comme une plante étouffée, entre les blocs des églises politiques dont les associations ennemies se partageaient le pays et la presse. Il n’était pas moins à l’écart de toutes les coteries littéraires et rejeté par elles. Il n’y avait, il ne pouvait y avoir aucun ami. Il était rebuté par la dureté, la sécheresse, l’égoïsme de ces âmes d’intellectuels — (à part le très petit nombre qu’entraîne une vocation réelle, ou qu’absorbe une recherche scientifique passionnée). C’est une triste chose qu’un homme, qui a atrophié son cœur, au profit de son cerveau, — quand il a un petit cerveau. Nulle bonté, et une intelligence comme un poignard dans un fourreau : on ne sait jamais si elle ne vous égorgera pas un jour. Il faut rester perpétuellement armé. Il n’y a d’amitié possible qu’avec les bonnes gens, qui aiment les belles choses, sans y chercher leur profit, — ceux qui vivent en dehors de l’art. Le souffle de l’art est irrespirable pour la plupart des hommes. Seuls, les très grands y peuvent vivre, sans perdre l’amour, qui est la source de la vie.

Olivier ne pouvait compter que sur lui seul. C’était un appui bien précaire. Toute démarche lui était pénible. Il n’était pas disposé à s’humilier, dans l’intérêt de ses œuvres. Il rougissait de