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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

on se réjouit de le voir souffrir seul, déchiré par l’ennemi, appelant à l’aide ceux qui sont ses frères et pour la foi desquels il meurt. Il y a dans le catholicisme d’aujourd’hui une puissance d’inertie meurtrière. Il pardonnerait plus aisément à ses ennemis qu’à ceux qui veulent le réveiller et lui rendre la vie… Que serions-nous, mon pauvre Christophe, quelle serait notre action, à nous, catholiques de race, qui nous sommes faits libres, sans une poignée de libres protestants et de Juifs ? Les Juifs sont dans l’Europe d’aujourd’hui les agents les plus vivaces de tout ce qu’il y a de bien et de mal. Ils transportent au hasard le pollen de la pensée. N’as-tu pas eu en eux tes pires ennemis et tes amis de la première heure ?

— Cela est vrai, dit Christophe ; ils m’ont encouragé, soutenu, adressé les paroles qui raniment celui qui lutte, en lui montrant qu’il est compris. Sans doute, de ces amis-là, bien peu me sont restés fidèles ; leur amitié n’a été qu’un feu de paille. N’importe ! C’est beaucoup que cette lueur passagère, dans la nuit. Tu as raison : ne soyons pas ingrats.

— Ne soyons pas inintelligents surtout, dit Olivier. N’allons pas mutiler notre civilisation déjà malade, en prétendant l’ébrancher de quelques-uns de ses rameaux les plus vivaces. Si le malheur voulait que les Juifs fussent chassés d’Europe, elle en resterait appauvrie d’intelligence et d’action, jusqu’au risque de la faillite