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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

hypocrites et enfantins, trop lâches pour oser regarder en face leur laideur.) — Un gredin peut très bien être un homme heureux. Il a même les plus grandes chances pour l’être. Et quant à son irresponsabilité, c’est encore une sottise. Ayez donc le courage de reconnaître que la Nature étant indifférente au bien et au mal, et par là même méchante, un homme peut très bien être criminel et parfaitement sain. La vertu n’est pas une chose naturelle. C’est l’œuvre de l’homme. Il doit la défendre. La société humaine a été bâtie par une poignée d’êtres plus forts, plus grands que les autres. Leur devoir est de ne pas laisser entamer l’ouvrage de tant de siècles de luttes effroyables par la racaille au cœur de chien.

Ces pensées n’étaient pas, au fond, très différentes de celles d’Olivier ; mais, par un secret instinct d’équilibre, il ne se sentait jamais aussi dilettante que quand il entendait des paroles de combat.

— Ne t’agite donc pas, ami, disait-il à Christophe. Laisse le monde se complaire dans ses vices. Comme les amis du Décaméron, respirons en paix l’air embaumé des jardins de la pensée, tandis qu’autour de la colline de cyprès et de pins parasols, enguirlandés de roses, Florence est dévastée par la peste noire.

Il s’amusait pendant des journées à démonter l’art, la science, la pensée, pour en chercher les rouages cachés ; il en arrivait à un pyrrhonisme,