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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

assez plu chez vous. Je m’enrhume dans votre musique. On ne voit pas clair : rallumez vos lanternes… Vous vous plaignez aujourd’hui de ces porcherie italiennes, qui envahissent vos théâtres, conquièrent votre public, vous mettent à la porte de chez vous ? C’est votre faute ! Le public est las de votre art crépusculaire, de vos neurasthénies harmoniques, de votre pédantisme contrapuntique. Il va où est la vie, si grossière qu’elle soit. Pourquoi vous retirez-vous de la vie ? Votre Debussy est mauvais, si grand artiste qu’il soit. Il est complice de votre torpeur. Vous auriez besoin qu’on vous réveillât rudement.

— Strauss, alors ?

— Pas davantage. Celui-là achèverait de vous démolir. Il faut avoir l’estomac de mes compatriotes pour supporter ces intempérances de boisson. Et ils ne les supportent même pas… La Salomé de Strauss !… Un chef-d’œuvre… Je ne voudrais pas l’avoir écrit… Je songe à mon pauvre vieux grand-père et à mon oncle Gottfried, lorsqu’ils me parlaient, sur quel ton de respect et d’amour attendri, du bel art des sons !… Disposer de ces divines puissances, et en faire un tel usage !… Un météore incendiaire ! Une Ysolde, prostituée juive. La luxure douloureuse et bestiale. La frénésie du meurtre, du viol, de l’inceste, des instincts déchaînés, qui gronde au fond de la décadence allemande… Et, de votre côté, le spasme du suicide mélancolique et voluptueux,