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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

y aimât, à peu de choses près, la même musique qu’en Allemagne. Dans le monde des artistes et des snobs parisiens, qu’il avait vus d’abord, il était de bon ton de traiter les maîtres allemands en étrangers de distinction, que l’on ne se refusait pas à admirer, mais qu’on tenait à distance : on se moquait volontiers de la lourdeur d’un Gluck, de la barbarie d’un Wagner ; on leur opposait la finesse française. Et de fait, Christophe avait fini par douter qu’un Français pût comprendre les œuvres allemandes, à la façon dont on les exécutait en France. Tout récemment encore, il était revenu scandalisé d’une représentation de Gluck : ces ingénieux Parisiens s’étaient avisés de maquiller le terrible vieux ; ils le paraient, ils l’enrubannaient, ils ouataient ses rythmes, ils attifaient sa musique de décors aux teintes impressionnistes, de charmantes petites danseuses, perverses et lascives… Pauvre Gluck ! que restait-il de son éloquence du cœur, de son sublime du cœur, de la pureté morale, de la douleur toute nue ? Etait-ce qu’un Français ne pouvait les sentir ? — Or Christophe voyait maintenant l’amour profond et tendre de ses nouveaux amis pour ce qu’il y a de plus intime dans l’âme germanique, dans les vieux lieder allemands, dans les classiques allemands. Et il leur demandait s’il n’était donc pas vrai que ces Allemands leur parussent des étrangers, et qu’un Français ne pût aimer tout à fait que les artistes de sa race.