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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

— Je ne pourrais pas, dit-elle. Si je faisais cela, cela me désespérerait.

Elle rougit de nouveau d’avoir livré un peu de son âme cachée ; et elle reprit :

— Et puis, quand je suis au jardin, et qu’il m’arrive une bouffée de vent, je suis heureuse. Le jardin me paraît vivant. Et quand le vent est sauvage, qu’il vient de loin, il dit tant de choses !

Christophe apercevait, en dépit de sa réserve, le fond de mélancolie, que recouvraient sa bonne humeur et cette activité dont elle n’était pas dupe et qui ne menait à rien. Pourquoi ne cherchait-elle pas à sortir de cet état, à s’affranchir ? Elle eût été si bien faite pour une vie active et utile ! — Mais elle alléguait l’affection de son père, qui n’entendait pas qu’elle se séparât de lui. En vain Christophe protestait-il que l’officier, vigoureux et énergique comme il était, n’avait pas besoin d’elle, qu’un homme de cette trempe pouvait rester seul, qu’il n’avait pas le droit de la sacrifier. Elle prenait la défense de son père ; par un pieux mensonge, elle prétendait que ce n’était pas lui qui la forçait à rester, que c’était elle qui n’aurait pu se décider à le quitter. — Et, dans une certaine mesure, elle disait vrai. Il semblait entendu, de toute éternité, pour elle, pour son père, pour tous ceux qui l’entouraient, que les choses devaient être ainsi et ne pouvaient être autrement. Elle avait un