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DANS LA MAISON

depuis, il faisait son métier d’ingénieur, avec conscience, mais sans aucun intérêt. Naturellement, il avait perdu ainsi le peu de dispositions artistiques qu’il possédait ; aussi n’en parlait-il plus qu’avec ironie.

— Et puis, disait-il, — (Christophe reconnaissait dans ce raisonnement la façon pessimiste d’Olivier) — la vie ne valait pas la peine qu’on se tourmentât pour une carrière ratée. Un mauvais poète de plus ou de moins !…

Les deux frères s’aimaient ; ils avaient la même trempe morale ; mais ils s’entendaient mal ensemble. Tous deux avaient été Dreyfusistes. Mais André, attiré par le syndicalisme, était antimilitariste ; et Élie, patriote.

Il arrivait parfois qu’André fît visite à Christophe, sans aller voir son frère ; et Christophe s’en étonnait : car il n’y avait pas grande sympathie entre lui et André. Celui-ci ne parlait guère que pour se plaindre de quelqu’un ou de quelque chose, — ce qui était lassant ; et quand Christophe parlait, André ne l’écoutait pas. Aussi Christophe ne cherchait-il plus à lui cacher que ses visites lui paraissaient oiseuses ; mais l’autre n’en tenait aucun compte ; il ne semblait pas s’en apercevoir. Enfin Christophe saisit le mot de l’énigme, un jour qu’il remarqua que son visiteur était penché à la fenêtre, et beaucoup plus occupé de ce qui se passait dans le jardin du bas que de ce qu’il lui disait. Il le lui fit observer ;