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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

— C’est qu’ils ne s’aimaient pas assez. Il faut savoir ce qu’on veut.

— La volonté ne peut pas tout, dans la vie. Quand je voudrais épouser Mlle  Chabran, je ne le pourrais pas.

— Je voudrais bien savoir pourquoi !

André parla de ses scrupules : sa situation n’était pas faite ; il n’avait pas de fortune ; peu de santé. Il se demandait s’il avait le droit de se marier dans de telles conditions. C’était une grande responsabilité. Ne risquait-il pas de faire le malheur de celle qu’il aimait, et le sien, — sans parler des enfants à venir ?… Il valait mieux attendre, — ou renoncer.

Christophe haussa les épaules :

— Belle façon d’aimer ! Si elle aime, elle sera heureuse de se dévouer. Et quant aux enfants, vous autres, Français, vous êtes ridicules. Vous voudriez n’en lâcher dans la vie que si vous êtes sûrs d’en faire de petits rentiers dodus, qui n’aient rien à souffrir, rien à craindre… Que diable ! cela ne vous regarde pas ; vous n’avez qu’à leur donner la vie, l’amour de la vie, et le courage de la défendre. Le reste… qu’ils vivent, qu’ils meurent… c’est le sort de tous les hommes. Vaut-il donc mieux renoncer à vivre, que courir les chances de la vie ?

La robuste confiance qui émanait de Christophe pénétrait son interlocuteur, mais ne le décidait point. Il disait :