Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

208
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

— Ils n’ont donc pas de cœur ! disait-il. Oh ! les lâches !

— À qui en as-tu ? demandait Olivier. Toujours à quelques drôles de la Foire sur la Place ?

— Non. Aux honnêtes gens. Les gredins font leur métier : ils mentent, ils pillent, ils volent, ils assassinent. Mais les autres, — ceux qui les laissent faire, tout en les méprisant, — je les méprise mille fois davantage. Si leurs confrères de la presse, si les critiques honnêtes et instruits, si les artistes, sur le dos desquels ces Arlequins s’escriment, ne les laissaient faire, en silence, par timidité, par peur de se compromettre, ou par un honteux calcul de ménagements réciproques, par une sorte de pacte secret conclu avec l’ennemi, pour rester à l’abri de ses coups, — s’ils ne les laissaient se parer de leur patronage et de leur amitié, cette puissance effrontée tomberait sous le ridicule. C’est la même faiblesse, dans tous les ordres de choses. J’ai rencontré vingt braves gens qui m’ont dit de tel individu : « C’est un drôle. » Il n’y en avait pas un, qui ne lui donnât du « cher confrère », et ne lui serrât la main. — « Ils sont trop ! » disent-ils. — Trop de pleutres, oui. Trop de lâches honnêtes gens.

— Eh ! que veux-tu qu’on fasse ?

— Faites votre police, vous-mêmes ! Qu’attendez-vous ? Que le ciel se charge de vos affaires ? Tiens, regarde, en ce moment. Voici trois jours que la neige est tombée. Elle encombre vos rues,