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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

vous étonner. Quelques-uns même — (c’est un spectacle ridicule) — quelques-uns de ces braves gens, intimidés, finissent par se persuader que ce sont eux qui ont tort, et que ce sont les charlatans qui ont raison. N’ai-je pas rencontré, — même à ta revue Ésope, où vous faites profession de n’être dupes de rien, — de ces pauvres jeunes gens, qui se persuadent qu’ils aiment un art et des pensées qu’ils n’aiment pas ? Ils s’intoxiquent avec, sans plaisir, par docilité ; et ils meurent d’ennui dans ce mensonge !


Christophe passait au milieu des incertains et des découragés, comme le vent qui secoue les arbres endormis. Il n’essayait pas de leur inculquer sa façon de penser ; il leur soufflait l’énergie de penser par eux-mêmes. Il disait :

— Vous êtes trop humbles. Le grand ennemi, c’est la neurasthénie, le doute. On peut, on doit être tolérant et humain. Mais il est interdit de douter de ce qu’on croit bon et vrai. Ce qu’on pense, on doit le croire. Et ce qu’on croit, on doit le soutenir. Quelles que soient nos forces, il nous est interdit d’abdiquer. Le plus petit, en ce monde, a un devoir, à l’égal du plus grand. Et — (ce qu’il ne sait pas assez) — il a aussi un pouvoir. Ne croyez pas que votre révolte compte pour si peu ! Une conscience forte, et qui ose s’affirmer, est une puissance. Vous avez vu plus d’une fois, dans ces dernières années, l’État et