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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/237

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DANS LA MAISON

son irritation n’en était que plus vive. Malgré elle, elle devait suivre jusqu’au bout la musique ; et quand la musique était finie, elle avait peine à retrouver son apathie coutumière. — Et, un soir qu’elle était tapie dans un coin de sa chambre obscure, et qu’à travers les cloisons et la fenêtre fermée, lui arrivait la musique lointaine, la musique lumineuse… elle se sentit frissonner, et la source des larmes de nouveau jaillit en elle. Elle alla rouvrir la fenêtre ; et désormais, elle écoutait, en pleurant. La musique était comme une pluie, qui pénétrait goutte à goutte son cœur desséché, et le faisait revivre. Elle revoyait le ciel, les étoiles, la nuit d’été ; elle sentait poindre, comme une lueur bien pâle encore, un intérêt à la vie, une sympathie imprécise et douloureuse pour les autres. Et la nuit, pour la première fois depuis des mois, l’image de sa petite fille lui reparut en rêve. — Car le plus sûr chemin qui nous rapproche de nos morts, le moyen de les revoir, ce n’est pas de mourir comme eux, c’est de vivre. Ils vivent de notre vie, et meurent de notre mort.

Elle ne chercha pas à rencontrer Christophe. Elle l’évitait plutôt. Mais elle l’entendait passer dans l’escalier avec les petites filles ; et elle se tenait cachée derrière la porte, pour épier le babillage enfantin, qui lui remuait le cœur.

Un jour, elle allait sortir, elle entendit les petits pas trottinants, qui descendaient l’escalier,