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DANS LA MAISON

grande houle au fond des cœurs humains ! On croyait être libre, maître de sa pensée ! Et voici qu’on se sent entraîné, malgré soi. Une obscure volonté veut contre votre volonté. Et l’on découvre alors que ce qui existe réellement, ce n’est pas vous, c’est cette Force inconnue, dont les lois gouvernent tout l’Océan humain…

Les intelligences les plus fermes, les plus sûres de leur foi, la voyaient se dissoudre, au souffle de la réalité, vacillaient, tremblaient de se décider, et souvent, à leur grande surprise, se décidaient dans un autre sens que celui qu’elles avaient prévu. Certains des plus ardents à combattre la guerre sentaient se réveiller, avec une violence inattendue, le vigoureux orgueil et la passion de la patrie. Christophe voyait des socialistes, et jusqu’à des syndicalistes révolutionnaires, qui étaient écartelés entre ces passions et ces devoirs ennemis. Dans les premières heures du conflit, où il ne croyait pas encore au sérieux de l’affaire, il dit à André Elsberger, avec la maladresse allemande, que c’était le moment d’appliquer ses théories, s’il ne voulait pas que l’Allemagne prît la France. L’autre bondit, et répondit, avec colère :

— Essayez un peu !… Bougres, qui n’êtes même pas foutus de museler votre empereur et de secouer le joug, malgré votre sacro-saint Parti socialiste, avec ses quatre cent mille adhérents, et ses trois millions d’électeurs !… Nous nous en