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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

chargeons, nous autres ! Prenez-nous. Nous vous prendrons…

À mesure que l’attente se prolongeait, la fièvre couvait chez tous. André était torturé. Savoir qu’une foi est vraie, et qu’on ne peut la défendre ! Et puis, se sentir atteint par cette épidémie morale, qui propage dans les peuples la puissante folie des pensées collectives, le souffle de la guerre ! Elle travaillait tous ces gens qui entouraient Christophe, et Christophe lui-même. Ils ne se parlaient plus. Ils se tenaient à l’écart les uns des autres.

Mais il était impossible de rester longtemps dans cet état d’incertitude. Le vent de l’action rejetait, bon gré, mal gré, les irrésolus dans l’un ou l’autre parti. Et un jour, où l’on se crut à la veille de l’ultimatum, — où, dans les deux pays, tous les ressorts de l’action se tenaient bandés, prêts au meurtre, Christophe s’aperçut que tous avaient choisi, au dehors de la maison, comme au dedans. Tous les partis ennemis, d’instinct, se rangeaient autour de ce pouvoir haï, ou méprisé, qui représentait la France. Non seulement les braves gens. Les esthètes, les maîtres de l’art dépravé, intercalaient dans leurs nouvelles polissonnes des professions de foi patriotiques. Les Juifs parlaient de défendre le sol sacré des ancêtres. Au seul nom du drapeau, Hamilton avait la larme à l’œil. Et tous étaient sincères, tous étaient pris par la contagion. André Elsberger et