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DANS LA MAISON

ses amis syndicalistes, aussi bien que les autres, — plus que les autres : écrasés par la nécessité des choses, obligés à un parti qu’ils détestaient, ils s’y déterminaient avec une fureur sombre, une rage pessimiste, qui faisait d’eux des instruments forcenés pour l’action. L’ouvrier Aubert, tiraillé entre son humanitarisme appris et son chauvinisme instinctif, avait failli en perdre la tête. Après plusieurs nuits blanches, il avait fini par trouver une formule qui arrangeait tout : c’était que la France était synonyme d’humanité. Depuis, il ne causait plus avec Christophe. Presque tous, dans la maison, lui avaient fermé leur porte. Même les excellents Arnaud ne l’invitaient plus. Ils continuaient à faire de la musique, à s’entourer d’art ; ils tâchaient d’oublier la préoccupation commune. Mais ils y pensaient toujours. Chacun d’eux, isolément, quand il rencontrait Christophe, lui serrait affectueusement la main, mais avec hâte, en se cachant. Et, dans la même journée, si Christophe les revoyait ensemble, ils passaient sans s’arrêter, en le saluant, gênés. En revanche, des gens qui ne se parlaient plus depuis des années, se rapprochaient brusquement. Un soir, Olivier fit signe à Christophe de venir près de la fenêtre, et, sans un mot, lui montra, dans le jardin d’en bas, les Elsberger qui causaient avec le commandant Chabran.

Christophe ne songeait pas à se surprendre de cette révolution dans les esprits. Il était assez