Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

261
DANS LA MAISON

et retrouva Christophe, à la place où il l’avait laissé, assis devant sa table, dans un état de prostration. Jointe aux trente francs qu’ils avaient, la somme réunie par Olivier était plus que suffisante. Christophe était trop accablé pour songer à demander comment son ami se l’était procurée, ni s’il gardait assez d’argent pour vivre, en son absence, Olivier n’y pensait pas plus que lui ; il avait remis à Christophe tout ce qu’il avait. Il lui fallut s’occuper de Christophe, comme d’un enfant, jusqu’au départ. Il le conduisit à la gare, et ne le quitta qu’au moment où le train se mit en marche.

Dans la nuit, où il s’enfonçait, Christophe, les yeux grands ouverts, regardait devant lui, et il pensait :

— Arriverai-je à temps ?

Il savait bien que, pour que sa mère lui eût écrit de venir, il fallait qu’elle ne pût plus attendre. Et sa fièvre éperonnait la course trépidante du rapide. Il se reprochait amèrement d’avoir quitté Louisa. Et en même temps, il sentait combien ces reproches étaient vains : il n’était pas le maître de changer le cours des choses.

Cependant, le bercement monotone des roues et des ressauts du wagon l’apaisait peu à peu, maîtrisait son esprit, comme les flots soulevés d’une musique, qu’un rythme puissant endigue. Il revoyait tout son passé, depuis les rêves vaporeux de la lointaine enfance : amours, espoirs, déceptions, deuils, et cette force exultante, cette