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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

tance démesurée à nos romans, à nos scènes de boulevards, aux intrigues de nos politiciens… Je te montrerai, quand tu voudras, des femmes qui ne lisent jamais de romans, des jeunes filles parisiennes qui ne sont jamais allées au théâtre, des hommes qui ne se sont jamais occupés de politique, — et cela, parmi les intellectuels. Tu n’as vu ni nos savants, ni nos poètes. Tu n’as vu ni les artistes solitaires, qui se consument en silence, ni le brasier brûlant de nos révolutionnaires. Tu n’as vu ni un seul grand croyant, ni un seul grand incroyant. Pour le peuple, n’en parlons pas. À part la pauvre femme qui t’a soigné, que sais-tu de lui ? Où aurais-tu pu le voir ? Combien de Parisiens as-tu connus, qui habitaient au-dessus du second ou du troisième étage ? Si tu ne les connais pas, tu ne connais pas la France. Tu ne connais pas, dans les pauvres logements, dans les mansardes de Paris, dans la province muette, les cœurs braves et sincères, attachés pendant toute une vie médiocre à de graves pensées, à une abnégation quotidienne, — la petite Église, qui de tout temps a existé en France, — petite par le nombre, grande par l’âme, presque inconnue, sans action apparente, et qui est toute la force de la France, la force qui se tait et qui dure, tandis qu’incessamment pourrit et se renouvelle ce qui se dit : l’élite… Tu t’étonnes de trouver un Français qui ne vit pas pour être heureux, heureux à tout prix, mais pour accomplir ou pour