Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

40
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

rieure. L’intensité de cet idéalisme, qui s’enfermait en soi pour recréer l’univers, le rendait inaccessible à la foule. Christophe lui-même ne le comprit pas d’abord. Le heurt était trop brusque, après la Foire sur la Place. C’était comme si, au sortir d’une mêlée furieuse et de la lumière crue, il entrait dans le silence et la nuit. Ses oreilles bourdonnaient. Il ne voyait plus rien. Sur le premier moment, avec son ardent amour de la vie, il fut choqué du contraste. Dehors, mugissaient des torrents de passion, qui bouleversaient la France, qui remuaient l’humanité. Et rien, au premier regard, n’en paraissait dans l’art. Christophe demandait à Olivier :

— Vous avez été soulevés jusqu’aux étoiles et précipités jusqu’aux abîmes par votre Affaire Dreyfus. Où est le poète en qui a passé la tourmente ? Il se livre, en ce moment, dans les âmes religieuses, le plus beau combat qu’il y ait eu, depuis des siècles, entre l’autorité de l’Église et les droits de la conscience. Où est le poète en qui se reflète cette angoisse sacrée ? Le peuple des ouvriers se prépare à la guerre, des nations meurent, des nations ressuscitent, les Arméniens sont massacrés, l’Asie qui se réveille de son sommeil millénaire renverse le colosse moscovite, garde-clefs de l’Europe ; la Turquie, comme Adam, ouvre les yeux au jour ; l’air est conquis par l’homme ; la vieille terre craque sous nos pas, et s’ouvre ; elle dévore tout un peuple…