Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

46
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS


Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m’a suffi
À faire chanter la forêt…


Sous la grâce nonchalante et le dilettantisme apparent de ces petites pièces pour piano, de ces chansons, de cette musique française de chambre, sur laquelle l’art allemand ne daignait pas jeter les yeux, et dont Christophe lui-même avait jusque-là négligé la poétique virtuosité, il commençait à entrevoir la fièvre de renouvellement, l’inquiétude, — inconnue de l’autre côté du Rhin, — avec laquelle les musiciens français cherchaient dans les terrains incultes de leur art les germes qui pouvaient féconder l’avenir. Tandis que les musiciens allemands s’immobilisaient dans les campements de leurs pères, et prétendaient arrêter l’évolution du monde à la barrière de leurs victoires passées, le monde continuait de marcher ; et les Français en tête se lançaient à la découverte ; ils exploraient les lointains de l’art, les soleils éteints et les soleils qui s’allument, et la Grèce disparue et l’Extrême-Orient rouvrant à la lumière, après des siècles de sommeil, ses larges yeux fendus, pleins de rêves immenses. Dans la musique d’Occident, canalisée par le génie d’ordre et de raison classique, ils levaient les écluses des anciens modes ; ils faisaient dériver dans leurs bassins de Versailles toutes les