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DANS LA MAISON

les vastes corps engourdis du protestantisme et du judaïsme. Tous s’appliquaient, avec une généreuse émulation, à créer la religion d’une humanité libre, qui ne sacrifiât rien, ni de ses puissances de raison, ni de ses puissances d’enthousiasme.

Cette exaltation religieuse n’était pas le privilège des religions ; elle était l’âme du mouvement révolutionnaire. Elle prenait là un caractère tragique. Christophe n’avait vu jusqu’alors que le bas socialisme, — celui des politiciens, qui faisaient miroiter aux yeux de leur clientèle affamée le rêve enfantin et grossier du Bonheur, ou, pour parler plus franc, du Plaisir universel que la Science, aux mains du Pouvoir, devait, disaient-ils, leur procurer. Contre cet optimisme nauséabond Christophe voyait se dresser la réaction mystique et forcenée de l’élite qui guidait au combat les Syndicats ouvriers. C’était un appel à « la guerre, qui engendre le sublime », à la guerre héroïque, « qui seule peut redonner au monde mourant un sens, un but, un idéal ». Ces grands Révolutionnaires, qui vomissaient le socialisme « bourgeois, marchand, pacifiste, à l’anglaise », lui opposaient une conception tragique de l’univers, « dont l’antagonisme est la loi », qui vit de sacrifice, de sacrifice perpétuel, constamment renouvelé. — Si l’on pouvait douter que l’armée, que ces chefs lançaient à l’assaut du vieux monde, comprît ce mysticisme guerrier