Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

66
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

prêtre d’une quarantaine d’années, fort instruit, d’esprit libre, de large intelligence, ancien professeur d’exégèse dans un grand séminaire, et récemment censuré par Rome, pour son esprit moderniste. Il avait accepté son blâme, sans se soumettre au fond, mais en silence, n’essayant point de lutter, refusant les moyens qui lui étaient offerts d’exposer publiquement ses doctrines, fuyant le bruit, et préférant la ruine de ses pensées à l’apparence du scandale. Christophe n’arrivait pas à comprendre ce type de révolté résigné. Il avait essayé de causer avec lui ; mais le prêtre, très poli, restait froid, ne parlait de rien de ce qui l’intéressait le plus, mettait sa dignité à se murer vivant.


À l’étage au-dessous, dans l’appartement identique à celui des deux amis, habitait une famille Élie Elsberger : un ingénieur, sa femme, et leurs deux petites filles de sept à dix ans : gens distingués, sympathiques, vivant renfermés chez eux, surtout par fausse honte de la situation gênée où ils se trouvaient. La jeune femme, qui faisait vaillamment son ménage, en était mortifiée ; elle eût accepté le double de fatigue pour que personne n’en sût rien : c’était encore là un sentiment qui échappait à Christophe. Ils étaient de famille protestante, et de l’Est de la France. Tous deux avaient été, quelques années avant, emportés par l’ouragan de l’affaire Dreyfus ; ils s’étaient, l’un