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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

honneurs et les places, et piétiner la justice, à leur tour. Seule, une poignée d’hommes restés fidèles à leur foi, pauvres, isolés, rejetés par tous les partis, et les rejetant tous, se tenaient dans l’ombre, à l’écart les uns des autres, rongés de tristesse et de neurasthénie, n’espérant plus en rien, avec le dégoût des hommes et la lassitude écrasante de la vie. L’ingénieur et sa femme étaient de ces vaincus.

Ils ne faisaient aucun bruit dans la maison ; ils avaient une peur maladive de gêner leurs voisins, d’autant plus qu’ils souffraient d’être gênés par eux, et qu’ils mettaient leur orgueil à ne pas s’en plaindre. Christophe avait pitié des deux petites filles, dont les élans de gaieté, le besoin de crier, de sauter et de rire, étaient, à tout instant, comprimés. Il adorait les enfants, et il faisait mille amitiés à ses petites voisines, quand il les rencontrait dans l’escalier. Les fillettes, d’abord intimidées, n’avaient pas tardé à se familiariser avec Christophe, qui avait toujours pour elles quelque drôlerie à raconter, ou quelque friandise ; elles parlaient de lui à leurs parents ; et ceux-ci, qui avaient commencé par voir ces avances, d’un assez mauvais œil, se laissèrent gagner par l’air de franchise de leur bruyant voisin, dont ils avaient maudit plus d’une fois le piano et le remue-ménage endiablé, au-dessus de leurs têtes : — (car Christophe, qui étouffait dans sa chambre, tournait comme un ours en cage.) — Ce ne