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DANS LA MAISON

fut pas sans peine qu’ils lièrent conversation. Les manières un peu rustres et brusques de Christophe donnaient parfois un haut-le-corps à Élie Elsberger. Vainement, l’ingénieur voulut maintenir entre l’Allemand et lui le mur de réserve, derrière lequel il s’abritait : impossible de résister à l’impétueuse bonne humeur de cet homme qui vous regardait avec de braves yeux affectueux, sans arrière-pensée. Christophe arrachait de loin en loin quelques confidences à son voisin. Elsberger était un curieux esprit, courageux et apathique, chagrin et résigné. Il avait l’énergie de porter avec dignité une vie difficile, mais non pas de la changer. On eût dit qu’il lui savait gré de justifier son pessimisme. Justement, on venait de lui offrir au Brésil une situation avantageuse, une entreprise à diriger ; mais il avait refusé, par crainte des risques du climat pour la santé des siens.

— Eh bien, laissez-les, dit Christophe. Allez-y seul, et faites fortune pour eux.

— Les laisser ! s’était écrié l’ingénieur. On voit bien que vous n’avez pas d’enfants.

— Je vous assure que, si j’en avais, je penserais de même.

— Jamais ! Jamais !… Et puis, laisser le pays !… Non. J’aime mieux souffrir ici.

Christophe trouvait singulière cette façon d’aimer son pays et les siens, qui consistait à végéter ensemble. Olivier la comprenait :