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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

mère, âgée et dévote. — De l’autre côté du palier, était installé un personnage énigmatique, d’âge indécis, entre cinquante et soixante ans, avec une fillette d’une dizaine d’années. Il était chauve, avait une belle barbe bien soignée, une façon de parler douce, des manières distinguées, des mains aristocratiques. On le nommait : M. Watelet. On le disait anarchiste, révolutionnaire, étranger, on ne savait trop de quel pays, Russe ou Belge. En réalité, il était Français du Nord, et il n’était plus guère révolutionnaire ; mais il vivait sur sa réputation passée. Il avait été mêlé à la Commune de 71, condamné à mort ; il avait échappé, il ne savait lui-même comment ; et pendant une dizaine d’années, il avait vécu un peu partout en Europe. Il avait été le témoin de tant de vilenies pendant la tourmente parisienne, et après, et aussi dans l’exil, et aussi depuis son retour, parmi ses anciens compagnons ralliés au pouvoir, et aussi dans les rangs de tous les partis révolutionnaires, qu’il s’était retiré d’eux, gardant pacifiquement ses convictions pour lui-même, sans tache, et inutiles. Il lisait beaucoup, écrivait un peu des livres doucement incendiaires, tenait — (à ce qu’on prétendait) — les fils de mouvements anarchistes très lointains, dans l’Inde, ou dans l’Extrême-Orient, s’occupait de la révolution universelle, et, en même temps, de recherches non moins universelles, mais d’aspect plus débonnaire : une langue universelle, une méthode nou-