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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

nant de les écrire. Il fallait trop se remuer pour faire paraître des articles, des livres : cela n’en valait pas la peine ; vanité inutile ! c’était si peu de chose auprès des penseurs qu’il aimait ! Il aimait trop les belles œuvres d’art, pour vouloir faire de l’art, lui-même : il eût jugé cette prétention impertinente et ridicule. Son lot lui semblait de les répandre. Il faisait donc profiter ses élèves de ses idées : ils en feraient des livres plus tard, — sans le nommer, bien entendu. — Personne ne dépensait autant d’argent que lui, pour souscrire à des publications. Ce sont toujours les pauvres qui sont le plus généreux : ils achètent leurs livres ; les autres se croiraient déshonorés, s’ils ne réussissaient à les avoir pour rien. Arnaud se ruinait en livres : c’était là son faible, — son vice. Il en était honteux, il s’en cachait à sa femme. Elle ne le lui reprochait pourtant pas, elle en eût bien fait autant. — Et avec cela, ils formaient toujours de beaux projets d’économies, en vue d’un voyage en Italie, — qu’ils ne feraient jamais, ils le savaient eux-mêmes ; et ils étaient les premiers à rire de leur incapacité à garder de l’argent. Arnaud se consolait. Sa chère femme lui suffisait, et sa vie de travail et de joies intérieures. Est-ce que cela ne lui suffisait pas aussi, à elle ? — Elle disait : oui. Elle n’osait pas dire qu’il lui serait doux que son mari eût quelque réputation, qui rejaillirait un peu sur elle, qui éclairerait sa vie, qui y appor-