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LES AMIES

— Et à quoi cela te servira-t-il, si tu n’aimes pas ?

Jacqueline, interloquée, s’exclama :

— Mais, tante, bien sûr que je ne parle que de ce que j’aime ! Le reste, ça ne compte pas.

— Et si tu n’aimais rien ?

— Quelle idée ! On aime toujours, toujours.

Marthe secouait la tête, d’un air de doute.

— On n’aime pas, dit-elle. On veut aimer. Aimer est la plus grande grâce de Dieu. Prie-le qu’il te la fasse.

— Et si on ne m’aime pas ?

— Même si on ne t’aime pas. Tu seras encore plus heureuse.

La figure de Jacqueline s’allongea ; elle prit une mine boudeuse :

— Je ne veux pas, dit-elle. Cela ne me ferait aucun plaisir.

Marthe rit affectueusement, regarda Jacqueline, soupira, puis se remit à son ouvrage.

— Pauvre petite ! fit-elle encore.

— Mais pourquoi dis-tu toujours : pauvre petite ? demanda Jacqueline, inquiète. Je ne veux pas être une pauvre petite. Je veux tant, tant être heureuse !

— C’est bien pour cela que je dis : Pauvre petite !