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LE BUISSON ARDENT

À la deuxième station après la frontière française, le train s’arrêta tout à fait ; il n’allait pas plus loin. Christophe, frémissant de rage, descendit, demandant un autre train, questionnant, se heurtant à l’indifférence des employés à demi endormis. Quoi qu’il fît, il arriverait trop tard. Trop tard pour Olivier. Il ne parviendrait même pas à rejoindre Manousse. Il serait arrêté avant. Que faire ? Que vouloir ? Continuer ? Revenir ? À quoi bon ? À quoi bon ?… Il songea à se livrer à un gendarme qui passait. Un obscur instinct de vivre le retint, lui conseilla de retourner en Suisse. Aucun train ne partait plus, dans l’une ou l’autre direction, avant deux ou trois heures. Christophe s’assit dans la salle d’attente, ne put rester, sortit de la gare, prit une route au hasard dans la nuit. Il se trouva au milieu de la campagne déserte, — des prairies, coupées çà et là de bouquets de sapins, avant-garde d’une forêt. Il s’y enfonça. À peine y eut-il fait quelques pas qu’il se jeta par terre, et cria :

— Olivier !

Il se coucha en travers de la route, et sanglota.

Longtemps après, un sifflet de train, au loin, le fit se relever. Il voulut retourner à la gare. Il se trompa de chemin. Il marcha,