Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/44

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Marcel Franck vint à elle. Il était entré depuis quelque temps, sans qu’elle l’eût aperçu, toute son attention prise par son effort pour ne pas céder au découragement qui la gagnait. Et lui, la regardant parler, avec une pitié gouailleuse, admirait sa crânerie. Il se disait :

— Qu’est-ce qui l’obligeait à venir braver ces mufles ? … Petite toquée !… C’est tordant…

Il se décida à lui tendre la perche. Il la salua gentiment. Les yeux reconnaissants d’Annette s’éclairèrent. On se taisait autour d’eux : toutes ces figures fermées, qui épiaient… Il dit :

— Enfin, grande voyageuse, vous voilà revenue ! L’avez-vous assez « contemplé son azur, ô Méditerranée ? »…

Il voulait l’aiguiller sur un sujet inoffensif. Mais elle — (quel démon la poussa ? orgueil, instinct de bravade, ou simplement franchise) — elle répondit gaiement :

— En fait d’azur, je n’ai guère contemplé, depuis des mois, que les yeux de mon enfant.

Un petit vent d’ironie passa sur l’assistance. Il y eut des sourires, des coups d’œil discrètement échangés. Mais Marie-Louise de Baudru se leva indignée ; et, rouge, sa grasse poitrine gonflée de mépris colérique à faire craquer le fourreau, elle repoussa sa chaise et, sans saluer personne, elle alla vers la porte, et partit. La température du salon tomba de quelques degrés. Annette resta isolée dans son coin avec Marcel Franck. Il la regardait, compatissant, narquois, et murmura :

— Imprudente !

— Quelle imprudence ? demanda-t-elle, d’une voix claire.

Elle sembla chercher du regard, à ses pieds. Puis, elle se leva sans hâte, et froidement saluant et saluée, elle sortit.

Qui l’eût vue dans la rue, marchant de son pas bien rythmé, la tête droite, l’air froide, correcte, indifférente,