Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/48

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mentir, n’aurait pas voulu pourtant sacrifier les avantages acquis. Elle consentait à se séparer de son monde social. Elle ne supportait pas d’en être rejetée. Elle n’acceptait pas de déchoir. Et son jeune orgueil, à qui la vie n’avait pas encore fait baisser la crête, se refusait à chercher asile dans un autre milieu, socialement plus modeste, même si elle l’estimait plus. C’eût été, aux yeux du monde, se déclarer vaincue. Mieux valait rester isolée que déclassée.

Si médiocre que fût cette préoccupation, elle n’était pas dénuée de toute raison. Dans la lutte engagée entre les conventions d’une classe et l’un de ses membres révolté qui les brave, la classe qui fait bloc contre l’imprudent et le rejette hors de ses frontières, le provoque à émigrer et guette ses défaillances pour justifier le ban.

Et, dans la bonne Nature, aussitôt qu’apparaît un symptôme de faiblesse, ou qu’une proie semble s’offrir à découvert, se tendent autour d’elle les toiles d’araignées. En cela, rien de tortueux, d’ailleurs, rien de sournois ! C’est la bonne Nature. Elle est toujours en chasse. Et chacun, à son heure, est chasseur, ou gibier. — Annette était gibier.

Les chasseurs se montrèrent. En toute simplicité. Annette reçut la visite de l’ami Marcel Franck. Elle était seule au logis. L’enfant était sorti, pour la promenade journalière : la tante l’accompagnait. Annette, un peu fatiguée, était restée dans sa chambre ; elle ne pensait voir personne ; mais quand on lui présenta la carte de Marcel, joyeuse, elle le fit entrer. Elle lui savait gré d’avoir pris son parti, chez Lucile. Certes, sans se compromettre ! Mais elle n’en demandait pas tant ! Elle le reçut en vieil ami, sans façons, étendue sur sa chaise longue. Elle était encore en négligé du matin. Depuis qu’elle était maman, elle n’avait plus sa dévotion