Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/70

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laissait aucun acte, sans en avoir révisé les points et les virgules. Mais il avait confiance, toutes précautions prises ; et pour qu’un homme de son flair eût confiance en un autre, il fallait que cet autre la méritât. Me Grenu la méritait. Autant qu’homme au monde… (toutes précautions prises)…

Le rôle de confesseur laïque, que le notaire est appelé à tenir dans les familles, avait mis Me Grenu dans la confidence de bien des secrets domestiques des Rivière. Il n’avait pas ignoré grand’chose des frasques de Raoul et des chagrins de Mme Rivière. À l’une il avait su prêter une oreille compatissante ; à l’autre, complaisante. Conseiller de la femme, il appréciait ses vertus ; compagnon de Raoul, il appréciait ses vices — (c’étaient aussi des vertus, gauloises) ; — et l’on disait qu’il ne boudait pas ses parties fines. Me Grenu était un petit homme grisonnant, qui avait la soixantaine, l’apparence délicate, le teint frais, une correction recherchée ; malicieux et disert, brave homme, bon comédien, il aimait à conter et, pour qu’on l’écoutât mieux, commençait d’une voix basse, exténuée, un souffle qui va s’éteindre, puis, quand il avait obtenu de l’auditoire un silence apitoyé, déployait peu à peu un volume sonore qu’une grande clarinette aurait pu lui envier, et ne lâchait plus l’anche qu’il n’eût, jusqu’au trait final, débité sa chanson. Notaire à l’ancienne mode, mais faible, et attiré par les modes nouvelles, bon pater familias, vieux bourgeois, glorieux de compter parmi sa clientèle des actrices, des viveurs et de belles poulettes, sa manie était de se dire vieux et même de jouer le vieux avec exagération ; mais il avait grand’peur qu’on ne le crût sur parole, et il s’appliquait ardemment, en cachette, à montrer qu’il était plus malin que tous les jeunes gens, et qu’il les mettait dedans.

Il connaissait Annette depuis l’enfance, et très sincèrement il avait pris à cœur ses affaires. Il trouva naturel qu’elle les lui confiât, après la mort des parents. Par cor-