Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/82

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C’était là une vérité qu’Annette avait un peu trop méconnue. Elle ne fut pas lente à l’apprendre.

Elle se mit en quête d’une place, sans en parler à Sylvie. Et sa première idée fut d’aller trouver la directrice du collège de jeunes filles où elle avait fait ses études. Élève intelligente, riche, fille d’un père influent, elle avait été dans les faveurs de Mme Abraham, et se tenait assurée de sa sympathie. Cette femme remarquable, une des premières qui eût organisé l’enseignement féminin en France, avait de rares qualités d’énergie et de jugement, complétées — ou palliées (cela dépendait des cas) — d’un sens politique très froid, que bien des hommes auraient pu lui envier. Désintéressée pour elle même, elle ne l’était point pour son collège. Elle était libre-penseuse et même, sans l’afficher, ne cachait point un certain dédain anticlérical, qui ne pouvait nuire auprès de sa clientèle de filles de la bourgeoisie radicale et de jeunes israélites. Mais à la place des dogmes rejetés, on avait instauré une morale civique qui, pour manquer de base et de certitude, n’en était pas moins étroite et impérative. (Elle ne l’en était que davantage : car plus une règle est arbitraire, plus elle se fait rigide). Annette, grâce à sa situation mondaine, était intime avec la directrice et avait son franc parler ; elle s’amusait à taquiner la fameuse morale officielle ; et Mme Abraham, sceptique de nature, ne faisait pas de difficultés pour sourire de ces boutades de l’irrespectueuse gamine. Elle en souriait, oui bien, quand elles causaient à huis-clos. Mais aussitôt que la porte était ouverte et que Mme Abraham réintégrait son titre